La nouvelle circulaire Retailleau durcit les règles de régularisation des sans-papiers en France. Un changement de cap qui inquiète les associations et rend le parcours administratif presque impossible.
Le 23 janvier 2025, une nouvelle circulaire ministérielle a été adressée aux préfets, redéfinissant en profondeur les critères d’accès à la régularisation pour les personnes sans papiers. Plus stricte, plus discrétionnaire, elle remplace la circulaire Valls de 2012 et vient compliquer un peu plus le chemin vers une vie légale pour des milliers d’hommes et de femmes vivant et travaillant en France depuis des années.
Régularisation des sans-papiers en France, circulaire Retailleau 2025
Depuis plusieurs années, le débat sur l’immigration en France s’est durci. Dans ce climat de crispation politique, la publication de la circulaire Retailleau marque un tournant. Présentée comme un ajustement de la politique migratoire, elle bouleverse en réalité les dispositifs existants, rendant l’accès au titre de séjour bien plus rare. Pour les sans-papiers, c’est une désillusion brutale, d’autant plus que la France, dans de nombreux secteurs, manque cruellement de main-d’œuvre. Ce paradoxe entre besoins économiques et fermeture administrative est au cœur de toutes les critiques.
Régularisation : un droit qui devient une exception
La circulaire Retailleau, entrée en vigueur le 23 janvier 2025, remplace officiellement la circulaire Valls de 2012 et redéfinit les conditions d’admission exceptionnelle au séjour pour les travailleurs sans-papiers. Désormais, cette régularisation repose sur des critères nettement plus stricts, l’étranger doit justifier d’une présence ininterrompue d’au moins trois ans en France, et avoir exercé une activité salariée dans un métier en tension durant au moins douze mois sur les vingt-quatre derniers.
À cela s’ajoute l’exigence de prouver cette activité par des bulletins de salaire, de maîtriser le français, et de présenter un casier judiciaire vierge. Deux types de titres de séjour sont envisageables : « travailleur temporaire » ou « salarié », selon les situations. La circulaire introduit aussi une carte spéciale « talent professions médicales et de la pharmacie » pour les soignants diplômés hors UE. En parallèle, des sanctions plus lourdes visent les employeurs pratiquant le travail dissimulé. Cette réforme marque un durcissement de la politique migratoire, en recentrant la régularisation sur des cas très encadrés et jugés indispensables économiquement.
La circulaire Retailleau insiste sur le « caractère exceptionnel » des régularisations. Exit l’esprit d’ouverture de la circulaire Valls, place à une approche sécuritaire et sélective. L’obtention d’un titre de séjour repose désormais presque entièrement sur la discrétion des préfets, sans objectifs chiffrés, sans obligation de justification. En clair, il n’existe plus aucun « droit opposable » pour les demandeurs : même s’ils remplissent les critères, rien ne garantit qu’ils obtiendront une régularisation.
L’objectif affiché est clair, freiner les régularisations par le travail, y compris dans les métiers en tension. Pourtant, ces secteurs restauration, nettoyage, bâtiment, soins, fonctionnent largement grâce à cette main-d’œuvre invisible. Mais le gouvernement veut montrer sa fermeté, quitte à faire fi des réalités économiques.
Métiers en tension : une fausse ouverture ?
Alors que le débat sur l’immigration et la régularisation par le travail prend de l’ampleur, les métiers dits « en tension » font figure de révélateur du malaise du marché de l’emploi français. Entre manque de main-d’œuvre, désaffection des candidats et pénurie structurelle, plusieurs secteurs peinent toujours à recruter. La publication imminente des listes régionales officialisera les besoins urgents.
Cuisinier, aide-soignant, agent de propreté, technicien du bâtiment, chauffeur routier… Ces professions, pourtant essentielles au bon fonctionnement de la société française, figurent en haut de la liste des métiers en tension. En 2025, les difficultés de recrutement persistent, voire s’intensifient, dans plusieurs régions et filières. En parallèle, la nouvelle circulaire Retailleau sur la régularisation des travailleurs sans papiers, attendue de longue date, renforce les critères d’accès à la carte de séjour. Dans ce contexte, les métiers en tension deviennent un enjeu politique, économique et social majeur.
Quels sont les critères d’un métier en tension en 2025 ?
Selon les dernières déclarations du ministère du Travail, trois critères principaux déterminent si un métier est en tension : le rapport entre l’offre et la demande d’emploi, la rapidité avec laquelle les inscrits sortent des listes de France Travail (anciennement Pôle emploi), et l’anticipation des besoins en recrutement. Un quatrième critère a été ajouté cette année : le taux de représentation des travailleurs étrangers non européens dans la profession. Ce dernier indicateur soulève d’ailleurs un vif débat dans un climat politique marqué par la crispation autour des questions migratoires.
Les listes de métiers en tension régionales devaient offrir une nouvelle possibilité de régularisation. En pratique, elles sont très encadrées. Pour espérer y accéder, un travailleur sans-papiers doit avoir cumulé douze mois d’activité sur un métier identifié, au cours des 24 derniers mois. De plus, il doit justifier de trois années de présence en France. Autant de conditions qui, cumulées à une procédure lourde, excluent une majorité de personnes concernées.
Autre nouveauté, la prise en compte du taux de présence d’étrangers non européens dans un métier. Cette donnée, floue et sujette à interprétation, pourrait servir d’argument pour justifier la fermeture de certaines filières, au lieu d’identifier de réels besoins de main-d’œuvre. L’intention affichée de valoriser l’intégration par le travail semble donc minée de l’intérieur.
Des critères toujours plus exigeants
Outre les conditions d’ancienneté et d’activité, la circulaire Retailleau ajoute des exigences inédites. Le demandeur doit prouver sa connaissance de la langue française à travers une certification officielle, et signer un contrat d’engagement à respecter les « principes de la République ». Ces critères peuvent sembler légitimes, mais ils compliquent l’accès à la régularisation, surtout pour des personnes précaires, parfois analphabètes ou vivant dans l’ombre depuis des années.
Autre durcissement notable, la durée minimale de résidence passe à sept ans pour une régularisation par l’employeur, contre cinq auparavant. Cela concerne des milliers de travailleurs dans l’agriculture, la logistique ou les services à la personne, dont le seul tort est de ne pas avoir été visibles plus tôt.
Des réactions vives et une colère grandissante
Cette nouvelle politique hostile a la régularisation des sans-papiers en France ne passe pas inaperçue. De nombreuses associations, syndicats et collectifs de sans-papiers dénoncent une réforme hypocrite, qui encourage le travail illégal tout en refusant d’offrir un cadre stable à ceux qui font tourner l’économie. La Coordination des Sans-Papiers (CSP 75) multiplie les mobilisations, dénonçant une volonté manifeste de « décourager les gens », comme le résume Mariama Sidibé, militante engagée.
Loin des débats parlementaires, ce sont des vies entières qui basculent. Des familles installées depuis des années, des enfants scolarisés, des travailleurs essentiels, tous menacés d’expulsion ou de précarité administrative perpétuelle.
La circulaire Retailleau illustre une politique migratoire de plus en plus dure, au détriment de l’intégration et du bon sens économique. En restreignant les critères de régularisation et en confiant le pouvoir aux seuls préfets, le gouvernement choisit la fermeture plutôt que l’inclusion. Le risque est grand, créer un sous-prolétariat invisible, piégé entre travail au noir et angoisse de l’expulsion.
Face à cela, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une régularisation plus juste, plus humaine et adaptée aux réalités du terrain. Car derrière chaque dossier administratif, il y a des visages, des histoires, des travailleurs. Et un espoir, aujourd’hui fragilisé.