La fin du statut de monnaie de réserve du dollar américain n’est plus une simple hypothèse. Elle devient une composante stratégique de la politique économique américaine, visant à corriger les déséquilibres industriels du pays, au risque de bouleverser l’ordre monétaire mondial.
Ces dernières années, le dollar n’a jamais vraiment quitté le centre du jeu économique mondial. Il continue de représenter la majorité des réserves de change mondiales, reste la référence des échanges internationaux et s’impose comme la monnaie des contrats commerciaux les plus cruciaux. Pourtant, une dynamique inédite émerge dans les discours et surtout dans les actes politiques : celle d’une volonté assumée de rompre avec cette domination.
L’idée ne vient pas de ses rivaux économiques, mais bien de l’intérieur même des États-Unis. À mesure que les tensions commerciales, industrielles et sociales s’intensifient, certaines voix, notamment dans l’entourage de Donald Trump, estiment que le statut du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale n’est plus un atout, mais un obstacle au redressement industriel du pays. Et cette remise en question n’est pas sans conséquences.
Fin du statut de monnaie de réserve comme levier économique
Dans la vision portée par l’administration Trump, la force du dollar américain est devenue le symbole d’un modèle à bout de souffle. Trop fort, il renchérit le coût des produits américains à l’export, désavantage l’industrie nationale et creuse le déficit commercial. La solution avancée : affaiblir volontairement la monnaie américaine, quitte à sacrifier son statut de référence mondiale. Une posture iconoclaste, mais désormais centrale dans une stratégie qui mêle guerre commerciale, désengagement militaire et négociations monétaires agressives.
Ce revirement s’inscrit dans une lecture économique très spécifique : le dollar fort serait en fait une « subvention cachée » aux consommateurs américains, au détriment des producteurs. Remettre en cause ce système permettrait, selon les promoteurs de cette idée, de réindustrialiser les États-Unis. Les droits de douane élevés deviennent alors un levier non seulement protectionniste, mais aussi monétaire, dans l’espoir d’imposer une dévaluation coordonnée avec les partenaires commerciaux.
Stratégie commerciale et tensions géopolitiques forment un cocktail explosif
Mais le plan va plus loin. L’administration envisage des accords monétaires incluant des échanges de dette, dans une logique de financement alternatif du déficit public américain. En clair, transformer les recettes douanières en source de financement pour compenser le retrait de certains avantages historiques liés au dollar.
Or, peu de pays acceptent de jouer ce jeu. Les partenaires des États-Unis sont aujourd’hui beaucoup plus autonomes, moins enclins à subir des accords désavantageux, surtout imposés unilatéralement. L’exemple des accords du Plaza de 1985, souvent cité, est difficilement transposable. À l’époque, les partenaires étaient encore hantés par l’inflation et voyaient d’un bon œil une réévaluation de leur monnaie. Ce n’est plus le cas.
Réindustrialisation, vieillissement démographique et modèle économique à réinventer

Derrière cette offensive monétaire se cache une autre réalité : le modèle américain n’est pas uniquement miné par la désindustrialisation. Il est aussi marqué par une mutation profonde vers les services et la technologie. La spécialisation de l’économie américaine reflète en partie un choix, mais aussi une adaptation à une population vieillissante qui consomme moins de biens manufacturés et plus de services. Cela questionne l’objectif même de la réindustrialisation à tout prix.
L’économie américaine, tirée par l’innovation, reste l’une des plus dynamiques au monde. Malgré les déficits, elle affiche un plein emploi, une croissance constante post-pandémie, et des gains de productivité enviés. Plutôt qu’un déclin, certains y voient une évolution vers une économie post-industrielle.
Quel avenir pour le système monétaire mondial sans le dollar au centre ?
C’est là que la question se complexifie. Que se passerait-il si le dollar américain perdait réellement son statut de monnaie de réserve ? Qui prendrait le relais ? L’euro ? Le yuan ? Le paysage monétaire mondial actuel n’est pas structuré pour un basculement rapide. Et surtout, peu de pays sont prêts à assumer le rôle exigeant qu’implique une monnaie de réserve : déficit chronique, confiance globale, stabilité politique.
De leur côté, les pays partenaires des États-Unis cherchent aujourd’hui à renforcer leur souveraineté monétaire et budgétaire. La désactivation progressive des engagements militaires américains, notamment en Europe, pousse plusieurs blocs à développer leurs propres stratégies économiques, indépendamment de Washington. Une fragmentation monétaire pourrait émerger, sans qu’aucune devise ne s’impose clairement.
Les contours de cette mutation restent flous, mais une chose est certaine : l’idée de voir le dollar volontairement relégué au second plan n’est plus une provocation théorique. Elle est devenue une hypothèse stratégique sérieusement envisagée. Une bascule inédite dans l’histoire économique récente.
Et si, un jour, la devise américaine se retrouvait sur la sellette… non pas par la pression des marchés, mais par la volonté même de son émetteur ?