Le gouvernement envisage de supprimer l’abattement fiscal de 10 % sur les pensions, une taxe surprise pour les retraités qui pourrait toucher 15 millions de foyers. Retour sur une mesure symbolique et controversée.
Alors que le gouvernement cherche 40 milliards d’euros pour équilibrer le budget 2026, la suppression de l’abattement fiscal de 10 % sur les pensions de retraite est sérieusement envisagée. Une mesure choc, perçue comme une taxe surprise pour les retraités, qui suscite déjà une vive réaction dans l’opinion publique.
Taxe surprise pour les retraités, une niche fiscale dans le viseur de Bercy
Dans sa quête de rationalisation des finances publiques, l’exécutif passe en revue l’ensemble des niches fiscales. Parmi elles, figure un dispositif peu connu du grand public mais crucial pour des millions de seniors, l’abattement fiscal de 10 % appliqué aux pensions de retraite, instauré en 1977. Cette mesure, censée placer retraités et actifs sur un pied d’égalité fiscale, permet à chaque foyer bénéficiaire de déduire une fraction de ses pensions avant imposition.
Le coût de cette niche fiscale pour l’État est estimé à près de 5 milliards d’euros en 2025, soit une progression de 500 millions d’euros en deux ans. Dans un contexte de déficit public atteignant 5,8 % du PIB en 2024, difficile pour le gouvernement de l’ignorer.
Une mesure jugée “aberrante” par le MEDEF
La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a récemment laissé entendre que cet avantage pourrait disparaître. Dans un entretien au Parisien, elle déclare : « On ne peut pas indéfiniment mettre à contribution les actifs pour financer les nouvelles dépenses sociales liées au vieillissement. Ce n’est pas votre âge qui doit définir votre contribution, mais aussi les moyens dont vous disposez. »
Le président du Medef, Patrick Martin, abonde dans ce sens. Pour lui, il est « contre nature » de faire bénéficier les retraités d’un abattement censé compenser les frais professionnels des actifs, alors qu’ils n’en ont plus. Une position qui fait écho à celle du président du Conseil d’orientation des retraites (COR), Gilbert Cette, favorable à la suppression de cette déduction.
Quels retraités seraient touchés ?
Environ 15 millions de foyers bénéficient aujourd’hui de cet abattement, même si tous ne sont pas imposables. Pour ceux qui le sont, l’effet peut être significatif. Exemple : un couple de retraités percevant chacun 1 800 euros par mois paie actuellement 1 068 euros d’impôt sur le revenu par an. Sans abattement, la facture grimperait à 1 760 euros, soit près de 700 euros supplémentaires.
L’impact ne serait cependant pas uniforme. Selon l’OFCE, la suppression n’affecterait pas les retraités les plus modestes, souvent exonérés d’impôt. En revanche, les 5 % les plus aisés verraient leur imposition bondir de 850 euros en moyenne. En parallèle, 500 000 foyers basculeraient dans l’impôt, et 8,5 millions subiraient une augmentation de leur imposition.
Des effets collatéraux sous-estimés
Outre l’alourdissement de la fiscalité, cette suppression pourrait avoir des conséquences en chaîne. En augmentant le revenu fiscal de référence, elle remettrait en cause l’éligibilité à certains dispositifs, exonération partielle de CSG, aides sociales comme MaPrimeAdapt’, ou encore l’accès à des complémentaires santé subventionnées.
Cela poserait un dilemme politique de taille pour le gouvernement : faut-il faire porter une part du redressement budgétaire à une population fidèle dans les urnes, alors que le pouvoir d’achat des retraités est déjà au cœur des tensions sociales ?
Une mesure symbolique… et explosive
Symboliquement, l’abattement de 10 % incarne un pacte fiscal implicite entre la République et ses aînés : la reconnaissance d’une vie de travail, de cotisations, et de loyauté citoyenne. Le supprimer revient à toucher un équilibre sensible, d’autant plus que les retraités restent, selon les dernières données du COR, légèrement plus aisés que les actifs en matière de niveau de vie. Toutefois, cette situation devrait s’inverser d’ici 2070, avec une baisse estimée à 83 % du niveau de vie moyen.
Le taux d’épargne des plus de 70 ans, 25 % contre 17 % en moyenne, alimente aussi l’argumentaire de ceux qui plaident pour une contribution accrue de cette génération. Mais pour les syndicats de retraités et nombre de partis politiques, cette « taxe surprise pour les retraités » sonne comme un signal d’alarme.
Un choix à haut risque pour l’exécutif
Alors que les débats budgétaires s’annoncent houleux, cette mesure pourrait devenir un point de cristallisation politique majeur. L’opposition de gauche y voit une injustice fiscale, la droite redoute les conséquences électorales, et les syndicats se mobilisent. Déjà, certains évoquent de potentielles mobilisations dans les rues.
Pour le gouvernement, il s’agit de faire un choix stratégique, maintenir une niche coûteuse au risque de creuser le déficit, ou s’attirer les foudres de millions de retraités pour économiser 5 milliards. À moins qu’il ne cherche un compromis, comme un plafonnement de l’abattement en fonction des revenus.
Quoi qu’il en soit, le débat sur cette taxe surprise pour les retraités est loin d’être clos. Il incarne, à sa manière, la complexité des arbitrages budgétaires à venir, et la difficile répartition des efforts dans une France confrontée au vieillissement de sa population.