Au cœur du square d’Alger, ou « Port Saïd » comme aiment l’appeler les habitués, se joue chaque jour une scène particulière, celle d’une « bourse » parallèle où l’euro défie le dinar avec un taux qui frôle les 260 DA pour 1 euro. Un coin de rue où les billets changent de main, et où le marché noir grignote l’économie du pays.
Les pertes sont énormes pour l’économie algérienne, et les appels pour fermer ce marché se font plus forts. Face à cette flambée de l’euro et une pression qui se ressent jusqu’au sommet de l’État, les autorités se disent prêtes à agir, avec en ligne de mire l’ouverture imminente des bureaux de change. Un premier pas pour reprendre en main cette économie de l’ombre, avec un changement promis d’ici la fin de l’année.
Le Square d’Alger, l’épicentre du marché noir des devises
Le Square Port Saïd à Alger, emblématique à la fois par son histoire et sa centralité, est aujourd’hui tristement connu pour être l’épicentre du marché noir des devises. Depuis des années, cet espace public s’est transformé en une « bourse parallèle » où l’euro, le dollar et d’autres devises étrangères sont échangés à des taux indécents. Ce marché informel est devenu un recours pour de nombreux Algériens qui, en l’absence de bureaux de change régulés, n’ont d’autre choix que de se tourner vers ces transactions illégales. Aujourd’hui, les autorités algériennes ne peuvent plus ignorer cette situation et annoncent une série de mesures pour mettre fin à ce phénomène.
L’impact de ce marché est considérable. Non seulement il alimente la dévaluation du dinar, mais les transactions qui s’y déroulent échappent au circuit bancaire formel, privant l’État de ressources fiscales et accentuant la dévaluation du dinar. Chaque jour, des millions de dinars échappent aux circuits bancaires traditionnels, ce qui fragilise encore davantage une économie déjà en difficulté. Les répercussions sont lourdes pour l’économie algérienne, une monnaie affaiblie, des capitaux qui fuient le pays, et une inflation des prix des biens importés. Cette « bourse de rue » crée une distorsion permanente dans l’économie nationale.
Des appels pour réguler le marché des devises
Face à cette situation critique, les appels à une régulation stricte du square d’Alger se multiplient. Plusieurs députés, dont Ahmed Rebhi (député FLN) ont interpellé le gouvernement pour son inaction face à ce phénomène. Ils demandent une application stricte des lois en vigueur et des mesures concrètes pour réprimer ces transactions illégales. Les fluctuations importantes du taux de change influent non seulement sur les grandes entreprises, mais aussi sur les citoyens ordinaires qui se retrouvent pris dans une spirale inflationniste. À mesure que les taux grimpent sur ce marché parallèle, le coût de la vie augmente, particulièrement pour les biens et services importés.
Les autorités publiques algériennes se posent une question cruciale, comment canaliser l’ensemble des devises échangées sur le marché parallèle vers les circuits bancaires légaux ? Antérieurement, Le directeur général de la Bourse d’Alger, Yazid Benmouhoub, a suggéré une stratégie sur dix ans pour stabiliser la masse monétaire et résorber le marché parallèle, en mai 2019, lors d’une interview sur la radio nationale Chaîne III, il avait souligné la nécessité d’adopter une feuille de route à long terme, d’une durée de dix ans. ou plus, pour assécher cette masse monétaire circulant en dehors des canaux officiels.
Concernant la convertibilité totale du dinar, les responsables ont préférés jouer la carte de la prudence, jugeant que le moment n’était pas encore propice. Aïmene Benabderrahmane, ancien Premier ministre et ministre des Finances, avait expliqué en mars 2021 que changer de monnaie n’était pas envisageable. Selon lui, une monnaie est essentielle à la stabilité d’un pays, et le pouvoir libératoire d’une monnaie se limite à une période de dix ans après le retrait des billets.
Malgré des tentatives passées de contrôle du marché des changements, telles que des réglementations strictes, ces efforts n’ont pas réussi à enrayer la montée du marché parallèle. La situation actuelle reflète des échecs similaires, où l’absence de traçabilité et la demande croissante pour des devises solides continuent de favoriser le marché noir. Aujourd’hui, le dinar ne peut pas être exporté, et les pouvoirs publics sont confrontés à l’urgence de réguler le marché parallèle des changements. L’absence de traçabilité dans ces opérations complique davantage la situation, rendant nécessaire une action rapide et efficace.
Des experts recommandent ainsi de formaliser et de réglementer les transactions de devises étrangères contre le dinar algérien, en spécifiant les conditions de vente de devises étrangères en échange de la monnaie nationale pour des personnes physiques résidant en Algérie. Cette initiative vise à instaurer une dynamique plus régulière et prévisionnelle sur le marché des devises, tout en renforçant la confiance des acteurs économiques et des citoyens envers le système financier officiel.
Le gouvernement algérien est désormais sous pression pour réagir. Les récentes hausses du taux de l’euro ont servi de catalyseur, forçant les autorités à admettre que la situation ne peut plus être ignorée. Les pertes en termes de contrôle monétaire et de fuite des capitaux sont devenues trop importantes. Pour tenter de résoudre ce problème de manière durable, le gouvernement a décidé de prendre des mesures concrètes pour réduire progressivement ce marché informel.
Fermeture du marché noir et ouverture de bureaux de change
Conscient des conséquences néfastes de ce marché parallèle, le gouvernement algérien a récemment annoncé une série de mesures visant à mettre fin progressivement aux activités du Square Port Saïd. La première étape consistera à ouvrir des bureaux de change officiels avant la fin de l’année. La Banque d’Algérie travaille actuellement sur un projet de création d’un réseau de bureaux de change nationaux, qui offrirait un environnement réglementé pour les échanges de devises, afin de détourner la population du marché noir et de réintégrer ces flux financiers dans les circuits formels.
Le gouvernement algérien amorce un virage décisif pour réduire le taux de l’euro et maîtriser les échanges de devises en lançant des bureaux de change officiels. En réponse à la prolifération du marché noir, ces bureaux visent à offrir une alternative fiable et réglementée, garantissant des taux de change compétitifs. Leur mise en place, prévue pour la fin de l’année, permettra non seulement de réduire la dépendance au marché informel, mais aussi de rétablir la confiance des citoyens dans le système financier algérien.
Ces structures apporteront un cadre légal solide où chaque transaction sera traçable, évitant ainsi l’opacité qui règne dans les échanges illégaux. Le rôle de ces bureaux ne se limite pas à une simple offre concurrentielle, ils font partie d’une vision plus large de stabilisation monétaire. En drainant les transactions hors du marché noir, le gouvernement espère récupérer des recettes fiscales perdues et renforcer les réserves de change officielles. Ce dispositif vise également à stimuler l’économie en stabilisant la valeur du dinar, freinant ainsi la spéculation monétaire qui aggrave la dévaluation de la monnaie locale.
Outre les bénéfices économiques, cette régulation vise à créer un environnement propice à l’investissement. Avec une économie monétaire plus transparente et mieux régulée, l’Algérie espère attirer davantage d’investisseurs étrangers, rassurés par une gestion rigoureuse des flux financiers· La transition ne sera pas immédiate, mais ces bureaux de change marquent un tournant décisif dans la stratégie nationale de lutte contre l’économie informelle, tout en préparant le terrain à une reprise plus large et plus pérenne. La fermeture du Square Port Saïd ne se fera cependant pas du jour au lendemain. Les autorités sont conscientes du rôle central que joue ce marché dans l’économie informelle et prévoient donc une transition en douceur
Transformer le Square d’Alger en espace de loisirs
Le Square d’Alger, longtemps associé au marché noir des devises, est aujourd’hui au cœur d’une transformation ambitieuse pour redorer son image et offrir aux habitants un espace culturel unique. En 2023, un budget de 190 millions de dinars a été alloué à ce projet de rénovation dans le cadre du plan de développement urbain d’Alger, qui s’étend jusqu’en 2035.
Au centre de cette renaissance culturelle, le kiosque à musique du square a été entièrement restauré pour accueillir des concerts réguliers, mettant en avant la musique châabi et andalouse, emblématiques de la culture algérienne. Ce kiosque, entouré par les façades rénovées du quartier et en lien direct avec le Théâtre National Algérien (TNA), va devenir un lieu de rencontre où les artistes locaux pourront exprimer tout leurs talents. C’est une invitation aux artistes Algériens, poètes, musiciens et amateurs d’art, à transformer cet espace en une scène vivante et accessible à tous.
Pour marquer cette transformation et rendre hommage à la culture nationale, des bustes de grandes figures du théâtre algérien comme Keltoum, Abdelkader Alloula, et Mohamed Boudia ont été installés dans les jardins du square. Chacune de ces statues évoque le parcours de ces artistes ayant marqué l’histoire du pays, et offre aux visiteurs l’occasion de se connecter à l’héritage culturel algérien. L’ajout d’un bibliobus apportera également une nouvelle dimension, en offrant des livres aux passants et en encourageant la lecture publique, tandis que les toilettes et infrastructures modernes répondront aux normes internationales pour accueillir un large public.
Avec ces rénovations, les autorités espèrent détourner le square de son image de « marché noir » pour en faire un espace de détente et de loisirs, destiné aux familles, aux jeunes et aux visiteurs. En remplaçant le bruit des échanges clandestins par des sons de musique et de partage, le Square Port Saïd s’apprête à devenir un véritable centre d’animation culturelle au cœur d’Alger.
L’avenir du Square Port Saïd semble donc se dessiner sous un jour nouveau, à la fois dans la gestion plus encadrée des devises, mais aussi en réinvestissant dans un projet social et culturel pour redonner vie à cet espace. Si ces projets sont menés à bien, le square pourrait devenir un modèle de transformation urbaine réussie, combinant régulation économique et revitalisation culturelle.