La crise actuelle des logements en Espagne est sans précédent. Pour y faire face, le gouvernement de Pedro Sánchez a annoncé des mesures drastiques visant à restreindre l’accès au marché immobilier pour les investisseurs étrangers non européens.
Ces initiatives, bien que destinées à freiner la spéculation immobilière, suscitent des inquiétudes parmi les ressortissants algériens et marocains, traditionnellement actifs sur le marché immobilier espagnol.En 2023, environ 27 000 logements en Espagne ont été acquis par des non-résidents issus de pays hors de l’Union européenne.
Cette tendance a contribué à une flambée des prix de l’immobilier, rendant l’accès au logement de plus en plus difficile pour les Espagnols. Face à cette situation, l’Espagne s’inspire de modèles étrangers, notamment du Canada et du Danemark, où des restrictions similaires ont été mises en place pour protéger les marchés locaux.
Une plainte pour discrimination fiscale concernant les logements en Espagne
Face à cette disparité, l’avocat Alejandro del Campo du cabinet DMS Legal a déposé, le 19 mars 2024, une plainte auprès de la Commission européenne, accusant l’Espagne de discrimination fiscale envers les propriétaires étrangers non européens. Cette plainte, jugée recevable, souligne que les récentes modifications apportées par la Loi sur le logement de 2023 ont accentué les inégalités entre résidents et non-résidents. En effet, cette loi introduit des réductions d’impôt pouvant atteindre 90 % pour les résidents, creusant davantage l’écart avec les propriétaires étrangers.
Parallèlement, le gouvernement espagnol, sous la direction du Premier ministre Pedro Sánchez, a annoncé en janvier 2025 un plan visant à lutter contre la crise de logement en Espagne et la spéculation immobilière. Parmi les mesures phares, une taxe pouvant aller jusqu’à 100 % de la valeur des biens immobiliers achetés par des étrangers non européens a été proposée. Cette initiative vise à décourager les investissements spéculatifs et à rendre le marché immobilier plus accessible aux citoyens.
Les Algériens sont dans le même cas que les marocains
Ce qui surprend souvent les propriétaires étrangers, c’est qu’en Espagne, même une maison vide est taxée. La loi espagnole considère qu’un bien immobilier, même non loué, produit un revenu implicite. C’est ce qu’on appelle le « revenu fictif » ou « revenu présumé ». Ce revenu est calculé à partir de la valeur cadastrale du bien, et le propriétaire doit payer un impôt dessus chaque année.
C’est ce qui a mis la puce à l’oreille à de nombreux Marocains installés à l’étranger. Beaucoup pensaient, à tort, qu’ils n’étaient pas concernés par la fiscalité espagnole s’ils ne louaient pas leur bien. Mais l’administration fiscale, elle, ne fait pas de distinction. Et désormais, les Algériens détenteurs d’un bien immobilier en Espagne sont confrontés exactement au même mécanisme.
Parmi les propositions avancées, une taxe pouvant atteindre 100 % du prix d’achat serait imposée aux investisseurs non européens souhaitant acquérir un bien en Espagne. Cette mesure vise clairement à décourager les achats spéculatifs et à stabiliser le marché immobilier. Toutefois, elle doit encore être débattue et approuvée par le Parlement espagnol, où le gouvernement ne dispose pas de la majorité absolue.
Les Algériens et les Marocains figurent parmi les principaux acheteurs étrangers de biens immobiliers en Espagne. Ces nouvelles mesures pourraient donc avoir un impact significatif sur leurs projets d’investissement. Concrètement, seuls les ressortissants disposant d’un statut de résident en Espagne ou dans l’Union européenne seraient exemptés de ces restrictions. Les autres, même en possession des ressources financières nécessaires, pourraient se voir interdire l’accès au marché immobilier espagnol.
Une déclaration obligatoire pour les non-résidents
Lorsqu’un Algérien ou un Marocain possède un logement en Espagne mais ne réside pas fiscalement dans le pays, il est considéré comme non-résident. À ce titre, il doit obligatoirement remplir le formulaire fiscal appelé Modèle 210. Ce document sert à déclarer les revenus immobiliers liés à un bien localisé en Espagne. Il s’agit soit des loyers perçus, soit d’un revenu théorique dans le cas d’un bien inoccupé.
Ce formulaire doit être rempli une fois par an, pour chaque bien détenu. Les délais sont stricts, et toute déclaration tardive entraîne des pénalités. Si le bien est loué, la déclaration est trimestrielle. Si le bien est inoccupé, la déclaration est annuelle. Dans tous les cas, même une simple résidence de vacances doit être déclarée, et l’impôt correspondant réglé.
Ce point est central : de nombreux Algériens qui ont acheté un pied-à-terre en Espagne, pensant simplement profiter du climat ou investir dans la pierre, se retrouvent aujourd’hui confrontés à des obligations fiscales dont ils n’avaient pas conscience au moment de l’achat.
Représentation fiscale : une autre obligation pour les non-Européens
Un autre point important concerne la désignation d’un représentant fiscal. Pour tous les propriétaires issus de pays hors Union européenne — comme c’est le cas pour les Algériens et les Marocains — cette désignation est obligatoire. Le représentant fiscal est une personne ou une entreprise basée en Espagne, qui fait office d’intermédiaire entre le propriétaire et l’administration fiscale.
Ce représentant est chargé de recevoir les notifications fiscales, de répondre aux demandes de l’administration, et de veiller au bon respect des obligations fiscales. Sans ce représentant, un propriétaire étranger peut se retrouver dans l’impossibilité de recevoir des courriers officiels ou de régulariser sa situation à temps.
Ces annonces ont suscité des réactions diverses. Si certains saluent une initiative visant à protéger le marché immobilier espagnol et à faciliter l’accès au logement pour les Espagnols, d’autres y voient une mesure discriminatoire à l’encontre des investisseurs étrangers. Les communautés algérienne et marocaine, en particulier, expriment des préoccupations quant à l’impact de ces restrictions sur leurs projets d’investissement et sur les liens historiques qui unissent leurs pays à l’Espagne.
En cas de manquement, les sanctions peuvent être lourdes : amendes, régularisation rétroactive sur plusieurs années, voire blocage de la vente d’un bien si celui-ci devait être cédé.
Le fisc espagnol ne plaisante pas avec les délais et les obligations. Une déclaration en retard, même de quelques semaines, peut entraîner une amende. Si les revenus perçus (loyers par exemple) n’ont pas été déclarés, une régularisation sera exigée, avec des intérêts de retard qui peuvent grimper rapidement. Ces règles s’appliquent sans distinction à tous les non-résidents : Marocains, Algériens, Tunisiens, ou autres nationalités.
Les raisons d’un changement de cap
Pourquoi l’Espagne durcit-elle sa position ? Plusieurs raisons expliquent ce tournant fiscal. D’une part, le pays cherche à lutter contre l’évasion fiscale. Pendant longtemps, les biens détenus par des étrangers échappaient aux contrôles. Certains propriétaires louaient leurs logements sans rien déclarer. D’autres conservaient leur bien vide, sans jamais le signaler au fisc.
Avec les nouvelles technologies et les systèmes de déclaration interconnectés, l’administration fiscale espagnole a désormais les moyens de suivre les transactions, d’identifier les propriétaires et de détecter les irrégularités. Les registres fonciers sont numérisés, les données bancaires sont mieux tracées, et les échanges d’informations avec d’autres pays sont devenus plus fluides
Il est important de replacer ces mesures dans le contexte plus large de la crise des logements en Espagne. Les loyers ont augmenté de 11 % en 2024, accentuant les difficultés pour de nombreux Espagnols à se loger décemment. Le gouvernement a déjà adopté une loi en mai 2023 visant à augmenter le nombre de logements sociaux et à encadrer les loyers dans les zones tendues, mais ces mesures n’ont pas suffi à enrayer la crise.
Par ailleurs, la crise du COVID-19 a fragilisé les finances publiques espagnoles. Le gouvernement cherche donc à optimiser ses recettes fiscales. Et quoi de mieux qu’un impôt sur des biens détenus par des étrangers, souvent perçus comme “rentables” et difficiles à déplacer ?
Ce durcissement répond aussi aux recommandations de l’Union européenne, qui encourage ses membres à harmoniser et renforcer la fiscalité des non-résidents. En clair, il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais d’une tendance lourde qui pourrait s’étendre à d’autres pays du continent.