Le monopole d’Air Algérie sur le ciel algérien freine l’entrée sur le marché aérien de compagnies privées malgré des annonces répétées d’ouverture. Le projet avorté de Fly Westaf révèle la réalité d’un marché verrouillé par des réglementations restrictives, au détriment des voyageurs.
Le secteur aérien algérien est dominé depuis l’indépendance par Air Algérie, qui opère en situation de quasi-monopole. Malgré plusieurs annonces gouvernementales et des promesses d’ouverture du marché à la concurrence privée, cette initiative peine à se concrétiser. En effet, depuis la faillite de Khalifa Airways en 2003, Air Algérie reste la seule compagnie aérienne nationale à assurer l’essentiel des vols domestiques et internationaux. La situation a perduré malgré des appels répétés pour une libéralisation du marché. En chiffres, Air Algérie dessert plus de 40 destinations internationales et 35 destinations domestiques, avec une flotte de 56 appareils. La compagnie transporte près de 7.2 millions de passagers par an, selon des données récentes.
Air Algérie, qui opère de façon quasi-exclusive depuis les vingt dernières années, est souvent critiquée pour ses prix élevés, des services jugés obsolètes, et une gestion peu efficace. Malgré ces critiques, les promesses d’ouverture faites par les autorités ne se sont jamais réellement concrétisées.
Fly Westaf abandonne définitivement
L’exemple le plus marquant de cette situation est la tentative de la compagnie aérienne Fly Westaf de briser ce monopole. En 2021, une lueur d’espoir a surgi lorsque le gouvernement algérien a annoncé que neuf projets de compagnies aériennes privées avaient reçu un accord de principe pour être agrémentées. Parmi ces projets figurait la compagnie low-cost Fly Westaf, porté par le capitaine Chakib Ziani-Cherif qui visait à offrir des vols bon marché, à l’image des compagnies aériennes en Europe et ailleurs
Fly Westaf, avait l’ambition de rendre « la destination Algérie » plus accessible grâce à des prix compétitifs et des services modernes, et espérait dynamiser le secteur touristique algérien. Initialement, l’objectif de la compagnie était de profiter du potentiel touristique non exploité du pays en offrant des vols à tarifs réduits, similaires aux low-costs européens comme Ryanair ou EasyJet. Selon les fondateurs de l’entreprise, Fly Westaf aurait permis une réduction de 15 à 20 % sur les tarifs des billets par rapport à Air Algérie.
Cependant, après plusieurs années d’attente et de démarches administratives complexes, Fly Westaf a renoncé à ce projet. En septembre 2024, la compagnie a décidé d’abandonner on projet en Algérie, en raison des retards dans l’obtention des autorisations et une bureaucratie étouffante. « Pendant deux ans, nous avons déployé de grands efforts pour accompagner le commandant Ziane Chakib Cherif, avant même son retour au pays en 2022, pour contribuer au renforcement du secteur du transport aérien.
Malheureusement toutes les portes sont restées fermées » a écrit Abdelouahab Yagoubi, député de l’immigration, qui a beaucoup œuvré pour la réussite de ce projet dans un poste sur sa page Facebook. Les autorités algériennes, bien qu’ayant promis une ouverture, n’ont pas été en mesure de créer un environnement favorable à l’investissement privé dans ce secteur.
Les conséquences du monopole d’Air Algérie
Pourtant, l’entrée de nouvelles compagnies pourrait générer une baisse importante des tarifs et améliorer la qualité des services. D’après une estimation basée sur des études comparatives, l’ouverture du ciel algérien à la concurrence pourrait entraîner une baisse des tarifs d’environ 25 % pour les vols internationaux, comme ce fut le cas dans d’autres pays qui ont libéralisé leur secteur aérien.
Le monopole d’Air Algérie a également un impact direct sur le secteur touristique du pays. En 2019, l’Algérie n’a accueilli que 2,5 millions de touristes, contre 13 millions pour la Tunisie et 12,3 millions pour le Maroc. Une ouverture du ciel pourrait contribuer à attirer davantage de visiteurs, avec des vols plus accessibles et des services plus attractifs·
De plus, l’absence de concurrence maintient les prix élevés, un vol Paris-Alger avec la compagnie nationale aérienne coûte en moyenne 25 % à 30 % plus cher qu’un vol similaire entre Paris et Tunis, selon une analyse des tarifs en 2023. Cette situation nuit non seulement aux voyageurs algériens, mais également à la diaspora, souvent contrainte de payer des tarifs exorbitants pour passer des vacances en Algérie, notamment pendant les périodes de haute saison.
La fin du monopole n’est pas pour demain
Malgré les promesses de réforme, l’Algérie semble encore loin de pouvoir accueillir des concurrents sérieux à Air Algérie. Outre Fly Westaf, d’autres projets de compagnies privées sont également en suspens, freinés par un environnement peu propice à l’investissement. Les neuf dossiers annoncés en 2021, censés lancer des compagnies aériennes privées, n’ont toujours pas vu le jour. Face à ces critiques, l’État continue d’affirmer que l’ouverture du marché est une priorité. Le président Abdelmadjid Tebboune a d’ailleurs qualifié cette ouverture d’« irréversible ». Mais, les faits montrent que les réformes ne suivent pas cette volonté affichée. Les obstacles administratifs, les cahiers de charges trop contraignants et une réglementation trop bureaucratique continuent de dissuader les investisseurs potentiels.
Le gouvernement a certes assoupli certaines règles, comme la possibilité pour les compagnies de pratiquer des tarifs plus flexibles, mais ces mesures sont largement insuffisantes pour transformer radicalement le paysage aérien algérien. En outre, la règle du 51/49, qui impose aux investisseurs étrangers de céder la majorité de leur capital à des partenaires algériens, reste un obstacle de taille pour les compagnies internationales intéressées par ce marché
En dépit des promesses réitérées par les autorités, le secteur aérien algérien reste hermétiquement fermé. L’exemple de Fly Westaf démontre que les réformes annoncées ne suffisent pas à attirer des investisseurs sérieux, tant que le cadre réglementaire reste aussi rigide et opaque. La compétitivité et la croissance du marché aérien dépendent de la mise en place de conditions favorables à l’investissement privé. Si l’État ne prend pas des mesures concrètes pour simplifier la bureaucratie et alléger les contraintes administratives, il est peu probable que d’autres compagnies privées puissent émerger sur ce marché. Air Algérie conservera ainsi son monopole, au détriment des consommateurs, des touristes, et de l’économie nationale.