Depuis quelques mois, une transformation profonde se dessine dans l’univers du paiement numérique en Europe. Si jusqu’ici Visa, PayPal,MasterCard et Alipay dominaient largement le paysage, l’Union européenne a décidé de reprendre les rênes. Riposter face à un contexte géopolitique en pleine tension.
Tout a commencé avec une annonce américaine. Les États-Unis, sous l’impulsion d’une nouvelle politique économique agressive, ont mis en place une hausse importante des droits de douane sur de nombreux produits importés. En toile de fond : une stratégie protectionniste qui vise à réindustrialiser l’Amérique, mais qui n’est pas sans conséquence sur les partenaires commerciaux, à commencer par l’Union européenne.
Face à cette montée des tensions, Bruxelles dessine les contours d’une riposte. Le ton s’est durci, et des voix comme celle de Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, se font entendre : « Nous devrions veiller à ce qu’il y ait une offre européenne », a-t-elle affirmé récemment. Et cette offre passerait aussi – et surtout – par la maîtrise des paiements numériques.
Pourquoi l’Europe veut-elle s’émanciper des géants du paiement PayPal, MasterCard et AliPay ?
Aujourd’hui, chaque fois qu’un Européen paie avec une carte Visa ou MasterCard, ou utilise PayPal, MasterCard et AliPay pour régler un achat en ligne, il fait appel à une infrastructure qui n’est ni européenne, ni neutre. Ces services sont américains ou chinois, et les données comme les commissions échappent souvent à tout contrôle local.
Les paiements mobiles, les services de portefeuille électronique, les systèmes de transfert d’argent entre particuliers : autant de domaines clés où l’Europe est dépendante de solutions venues d’ailleurs.
Et cette dépendance, dans un contexte de tensions commerciales et géopolitiques, devient problématique. L’idée n’est pas seulement économique, elle est aussi stratégique. La Commission européenne veut garantir la sécurité des données, s’assurer de leur hébergement sur le territoire européen, et surtout réduire sa vulnérabilité face aux décisions politiques extérieures.
Wero : La réponse européenne qui monte en puissance
C’est dans ce cadre qu’est né Wero, le système de paiement imaginé par l’European Payments Initiative (EPI). Ce projet, lancé avec le soutien de grandes banques européennes, vise à créer un système de paiement unifié, 100 % européen.
Le fonctionnement de Wero s’annonce polyvalent : paiements entre particuliers, règlements en ligne, paiements en boutique. Il s’appuie sur des standards de sécurité avancés et une compatibilité avec l’ensemble des banques partenaires.
Le projet Wero n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une stratégie économique plus globale, visant à mieux intégrer les marchés européens et à uniformiser les outils numériques à l’échelle du continent. Le European Parliamentary Research Service estime que cette intégration plus poussée pourrait générer plus de 2800 milliards d’euros de PIB supplémentaires d’ici 2032. Un chiffre qui parle de lui-même.
Au-delà de l’économie, c’est toute une logique d’indépendance stratégique qui se met en place. Car dans un monde où les flux financiers numériques croisent les enjeux de sécurité, de souveraineté, de régulation, avoir ses propres solutions devient indispensable. À l’horizon 2028, Wero pourrait même concurrencer Apple Pay, souvent perçu comme un modèle dans l’écosystème mobile.
Que deviennent les acteurs historiques comme MasterCard et PayPal ?
De leur côté, les géants traditionnels du paiement ne restent pas inactifs. MasterCard, par exemple, accélère sur la tokenisation. Cette technologie consiste à remplacer le numéro de carte par un jeton chiffré, unique et inutilisable en cas de piratage. Elle est déjà utilisée pour les paiements sans contact ou via mobile, mais MasterCard veut l’imposer comme nouveau standard de sécurité en ligne.
En parallèle, l’entreprise souhaite éliminer à terme la saisie manuelle du numéro de carte lors des achats en ligne. Un moyen de fluidifier l’expérience utilisateur tout en renforçant la protection contre la fraude.
PayPal, de son côté, reste un acteur incontournable du e-commerce, mais pourrait perdre de sa centralité si les alternatives européennes s’imposent, surtout dans les paiements entre particuliers ou les petites transactions quotidiennes.
Côté chinois, Alipay cherche à s’adapter au marché international. Grâce à un partenariat avec MasterCard, les touristes étrangers peuvent désormais utiliser leur carte étrangère directement via l’application, facilitant les paiements en Chine.
Mais malgré cette ouverture, Alipay reste profondément ancré dans l’écosystème asiatique. En France, des efforts sont faits pour séduire les commerçants – notamment dans les zones touristiques – mais son adoption reste marginale en dehors des clientèles chinoises.
Une bataille d’influence qui ne fait que commencer
La montée en puissance de Wero et la création d’un portefeuille numérique européen sont des réponses très concrètes à un déséquilibre structurel. Les États-Unis dominent le secteur des paiements électroniques, de l’identité numérique, du cloud et de la cybersécurité. La Chine, elle, avance vite sur les technologies de paiement mobile et les infrastructures bancaires digitales.
L’Union européenne, souvent critiquée pour sa lenteur, montre ici une volonté de reprendre l’initiative. Ce retour à la souveraineté numérique s’accompagne d’un véritable effort de coordination entre États membres, institutions financières et régulateurs.
Il ne s’agit pas simplement de créer une « app de plus » pour remplacer PayPal ou Visa. L’ambition est bien plus large : reconstruire une infrastructure complète, interopérable, sécurisée, alignée sur les valeurs européennes.