La dématérialisation des services de l’Administration Numérique des Étrangers en France (ANEF), censée simplifier l’obtention du titre de séjour en France, se révèle être un parcours semé d’embûches. Pour de nombreux étrangers, cette plateforme entraîne des retards et des ruptures dans les droits essentiels des étrangers.
L’ANEF, créée pour simplifier l’accès aux titres de séjour, est aujourd’hui au cœur de critiques virulentes en France. D’après une enquête menée par la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS), la dématérialisation des démarches administratives entraîne des retards considérables dans l’obtention des documents essentiels, aggravant l’exclusion sociale et professionnelle des étrangers. Entre problèmes techniques, bugs de connexion et blocages de dossiers, de nombreux étrangers font face à une plateforme qui entrave leurs démarches au lieu de les faciliter.
C’est en 2014, que le ministère de l’Intérieur avait lancé un nouveau télé service pour la demande en ligne baptisé ANEF. Il avait pour objectif de dématérialiser toutes les démarches concernant les étrangers en France, titre de séjour et accès à la nationalité. Ce service devait permettre aux utilisateurs de soumettre leur demande directement depuis chez eux, simplifiant ainsi les démarches administratives.
Cauchemar administratif pour obtenir un titre de séjour en France
L’ANEF devait révolutionner les démarches administratives pour les étrangers en France en facilitant le renouvellement et l’obtention des titres de séjour via une plateforme numérique unique. Cependant, ce logiciel, censé simplifier, est devenu un cauchemar administratif. En raison de bugs techniques et de délais de traitement excessifs, des milliers d’étrangers se retrouvent bloqués, incapables d’obtenir l’attestation provisoire d’instruction (API), indispensable pour prouver leur situation légale.
Les témoignages recueillis dans l’enquête menée par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) sont édifiants. Pour beaucoup, l’attente interminable des documents nécessaires, comme l’attestation provisoire d’instruction (API), a conduit à la perte de leur emploi ou de droits sociaux fondamentaux.
Un cas, particulièrement révélateur, est celui de Khalid, un travailleur étranger résidant à Marseille depuis plus de 10 ans. Depuis la mise en place de l’ANEF, Khalid peine à renouveler son titre de séjour en ligne à temps. « J’ai perdu mon travail à cause du retard de l’API. Mon patron attendait ce document pour prolonger mon contrat, mais sans réponse de l’administration, il n’a pas pu le faire », explique-t-il. « J’ai été obligé de me tourner vers des petits boulots non déclarés pour subvenir aux besoins de ma famille, » souligne-t-il.
Ce que touchent les dysfonctionnements de l’ANEF
Les dysfonctionnements de l’ANEF touchent en premier lieu l’accès à l’emploi. Selon l’enquête de la FAS, 50 % des personnes interrogées ont perdu leurs droits auprès de France Travail, l’agence publique d’emploi, et 45 % ont vu leur contrat de travail rompu ou suspendu en raison de l’absence d’un titre de séjour valide. Les secteurs de l’agriculture, de la restauration et du bâtiment, qui dépendent de travailleurs étrangers en France, sont particulièrement affectés. Les employeurs, quant à eux, se retrouvent dans l’incapacité de régulariser la situation de leurs employés.
Sophie, propriétaire d’une exploitation agricole dans le Sud indique : « mes saisonniers étrangers ne pouvaient plus travailler cette année à cause des retards de l’ANEF. Cela a entraîné des pertes financières considérables pour l’exploitation· Nous avons dû renoncer à une grande partie de notre récolte. » Le problème ne se limite pas à l’emploi. La perte d’accès aux droits sociaux met en péril des familles entières. Un travailleur social basé à Paris témoigne de l’inquiétude grandissante parmi ses bénéficiaires : « Nous voyons de plus en plus de personnes perdre leurs droits sociaux à cause des délais de l’ANEF. Sans attestation, ils ne peuvent renouveler leur dossier de logement, ni même avoir accès aux soins médicaux, ce qui les plonge encore plus dans une situation de précarité, » souligne-t-il.
Lina, mère célibataire vivant à Marseille, raconte : « Mes allocations familiales ont été suspendues pendant des mois. Sans ces aides, je n’avais plus de quoi payer mon loyer. J’ai dû faire appel aux associations pour m’en sortir. Tout ça à cause de l’impossibilité de renouveler mon titre de séjour en ligne via l’ANEF. »
La fracture numérique, un obstacle supplémentaire
La numérisation des services publics est un levier puissant, mais elle creuse également un fossé entre les usagers maîtrisant les outils numériques et ceux qui en sont exclus. Outre les délais administratifs, de nombreux étrangers en France doivent faire face à un autre obstacle, la fracture numérique. « J’ai essayé de déposer ma demande en ligne, mais le site est trop compliqué », déplore Amadou, un demandeur de titre de séjour malien de 54 ans. « Je n’ai pas d’ordinateur et je ne comprends pas comment remplir les formulaires pour la demande d’une carte de séjour en ligne. Quand j’ai appelé la préfecture pour demander de l’aide, on m’a dit de regarder les tutoriels en ligne, mais je ne parle pas bien français. »
Ce manque d’accompagnement dans les démarches dématérialisées laisse les plus vulnérables démunis, la fermeture progressive des guichets physiques des préfectures laissent des milliers de personnes sans recours. La fracture numérique, combinée aux retards administratifs, crée un cocktail explosif qui précarise davantage les étrangers en France.
Appel à une réforme urgente
Face à ces défaillances, la FAS et d’autres organisations appellent à une réforme en profondeur de l’ANEF et à une réintroduction partielle des services en guichet. Il est urgent de mettre en place des solutions hybrides qui mêlent numérique et accueil physique afin de garantir un accès juste et équitable aux droits des personnes étrangères. La mise en place de guichets numériques assistés, d’aides en ligne et d’une simplification des démarches numériques est essentielle pour permettre à chacun de bénéficier de ses droits sans être bloqué par des obstacles technologiques.
La dématérialisation des services publics, bien qu’annoncée comme un progrès, s’avère être un obstacle majeur pour les étrangers vivant en France. L’ANEF, loin d’alléger les démarches, plonge de nombreux usagers dans une spirale de précarité, avec des répercussions graves sur leur emploi et leur accès aux droits sociaux. Il est urgent que les autorités prennent des mesures concrètes pour corriger les dysfonctionnements du système et offrir un accompagnement adapté à tous les usagers, afin que le numérique ne devienne pas synonyme d’exclusion.