Lors de sa conférence devant les ambassadeurs, tenue ce lundi 8 janvier, Le Président de la république, Emmanuel Macron annonce une réforme majeure du visa Schengen pour la France, c’est l’un des dossiers les plus complexes de son agenda politique.
Cette initiative portée par le président Macron, inspirée du rapport Hermelin, vise à moderniser un système souvent critiqué pour ses lourdeurs administratives, ses incohérences et ses failles sécuritaires. Alors que le visa Schengen permet de circuler librement dans 29 pays européens, il est aujourd’hui au cœur de tensions entre les États membres et les demandeurs étrangers. La politique de durcissement des visas mise en place s’est révélée inefficace.
En effet, ce constat d’échec s’appuie sur le rapport de Paul Hermelin, remis en avril 2023 aux ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Ce document dresse un bilan sans concession de la politique des visas. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, le taux de refus est passé à environ 17 % en 2023 alors qu’il était de seulement 10,7 % en 2010, reflétant ainsi une approche sécuritaire qui a parfois nui à l’attractivité de la France.
Cette réforme, présentée comme « pragmatique » par le président français, cherche à trouver un équilibre entre des contrôles renforcés pour limiter l’immigration irrégulière et une simplification des procédures pour favoriser les échanges économiques, académiques et culturels. « Nous devons concilier nos objectifs de sécurité, d’attractivité et de solidarité européenne », a déclaré Emmanuel Macron.
Un constat d’échec et une nécessité de changement
Le durcissement de la politique des visas ces dernières années a montré ses limites. Emmanuel Macron l’a reconnu lors de la conférence devant les ambassadeurs, « Ça a détérioré notre réputation et notre image, sans beaucoup améliorer notre efficacité. » En effet, la baisse du nombre de visas délivrés a surtout pénalisé les « bonnes personnes » – étudiants, chercheurs, familles – sans pour autant entraver les réseaux migratoires illégaux ou les individus indésirables.
Cette situation a été exacerbée par des délais de traitement interminables, des procédures opaques et une pénurie de personnel dans les consulats. Selon le rapport Hermelin, d’avril 2023, les effectifs des agents titulaires ont chuté de 340 à 300 depuis 2019, tandis que la demande de visas a explosé. Les délais pouvaient atteindre dix semaines pour obtenir un simple rendez-vous, une frustration croissante des demandeurs et une montée en puissance des intermédiaires douteux qui profitent de ces dysfonctionnements.
Les lignes directrices de la réforme
Entre modernisation et pragmatisme, la France tente de redéfinir les règles du jeu pour des procédures de délivrance de visa Schengen plus justes et plus sécurisées. Lors de cette conférence, le président de la République, Emmanuel Macron, a souligné les lignes directrices de la réforme qu’il souhaite mettre en place progressivement, à savoir :
Renforcer les contrôles sans sacrifier l’attractivité
La réforme prévoit un renforcement des contrôles de sécurité grâce à une meilleure coopération entre les États membres. Les bases de données européennes, comme le système d’information Schengen (SIS), seront davantage exploitées pour identifier les risques potentiels. Cependant, l’objectif n’est pas de durcir les règles de manière générale, mais de les adapter aux profils des demandeurs. Les étudiants, les chercheurs et les professionnels qualifiés bénéficieront de procédures simplifiées, tandis que les contrôles seront renforcés pour les profils à risque.
Numériser pour gagner en efficacité avec le e-visa
La numérisation du processus de demande, le e-visa Schengen, rentrera en vigueur dès 2026, il est l’un des piliers de cette réforme. L’objectif est de réduire les délais de traitement et de simplifier les démarches pour les demandeurs. Cette modernisation devrait particulièrement profiter aux « publics cibles » prioritaires, comme les talents étrangers et les entrepreneurs. En parallèle, la France prévoit de lutter contre le trafic des rendez-vous, un phénomène massif dans certains pays où des intermédiaires peu scrupuleux revendent des créneaux à prix d’or.
Une approche différenciée selon les pays d’origine
La réforme introduit une distinction entre les pays jugés « coopératifs » en matière de retour des migrants en situation irrégulière et ceux qui ne le sont pas. Les ressortissants des premiers bénéficieront de facilités pour l’obtention de visas, tandis que les seconds pourraient subir des restrictions plus strictes. Cette mesure vise à encourager une meilleure collaboration avec les pays tiers tout en renforçant la maîtrise des flux migratoires.
Élargir les « visas talents » pour répondre aux besoins économiques
Pour répondre aux besoins de son économie, la France prévoit d’élargir les « visas talents » destinés aux professionnels qualifiés dans des secteurs en tension, comme la santé, le numérique et l’ingénierie. « Nous ne devons pas nous priver des talents du monde entier », a souligné Emmanuel Macron. Cette mesure s’inscrit dans une stratégie plus large visant à renforcer l’attractivité économique du pays.
Macron annonce une réforme, un défi diplomatique et politique
La réforme ne sera pas sans conséquences sur le plan diplomatique. Elle risque de raviver les tensions au sein de l’Union européenne, où les approches en matière de visas divergent largement. Si des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas pourraient soutenir les efforts de la France pour renforcer les contrôles, d’autres, notamment ceux du sud de l’Europe, s’inquiètent des répercussions sur leurs relations avec les pays du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne.
Sur le plan bilatéral, des frictions sont également à prévoir avec certains pays tiers. Les États africains, dont beaucoup dépendent des transferts financiers de leurs diasporas en Europe, pourraient mal accueillir un durcissement des règles. La France devra donc naviguer avec prudence pour éviter de compromettre ses relations diplomatiques tout en atteignant ses objectifs sécuritaires et économiques.
Un déploiement progressif et surveillé de la réforme
Selon les autorités françaises, la réforme sera déployée progressivement à compter de 2025. Le gouvernement prévoit des ajustements en fonction des retours d’expérience des partenaires européens et des demandeurs de visas. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a souligné l’importance de trouver un équilibre entre efficacité et respect des valeurs humaines, « Cette réforme doit être efficace sans sacrifier les valeurs qui font la force de la France. » A-t-il déclaré.
Perspectives et critiques
Pour ses défenseurs, cette réforme marque une avancée nécessaire dans la gestion des flux migratoires et l’amélioration de l’attractivité économique française. Elle répond à des enjeux sécuritaires tout en facilitant l’accès à l’Europe pour les talents et les étudiants. Cependant, des voix critiques s’élèvent déjà, dénonçant une approche qui pourrait renforcer les inégalités d’accès à l’Europe et pénaliser certains pays. Les défenseurs des droits des migrants s’inquiètent également des conséquences pour les familles et les travailleurs peu qualifiés, qui pourraient se heurter à des obstacles supplémentaires.
Le visa Schengen, symbole de la coopération européenne, est à un tournant décisif. Le défi est de taille et la réussite de cette réforme dépendra de sa capacité à concilier des intérêts qui touchent, notamment, la sécurité nationale, l’attractivité économique, la solidarité européenne et le respect des droits humains.